Sur la table...

Je vais poser de temps en temps sur ma table un livre que j’aime beaucoup, une occasion de revenir sur un ouvrage publié il y a peu, longtemps, ou très très longtemps.
Les livres disparaissent si vite.
Ils passent comme des TGV dans la nuit, pour paraphraser François Truffaut : 
“Les films sont comme des trains dans la nuit” 
Belle formule qui évoque les petites images qui se succèdent sur la pellicule, comme les vitres éclairées d’un train qui passe dans l’obscurité... ou les cases d’une bande dessinée.

Sur la table :
 "L" de Benoît Jacques 
éditions "l'Association" 2010


Benoît Jacques fait les livres qu’il a envie de faire et il les édite lui-même. Vous pouvez les trouver sur son site : 


Quand on a en mains un de ces livres particulièrement soignés dans les moindres détails de leurs conceptions : formats, choix des papiers, mises en pages… On perçoit clairement l’intention de l’auteur de fabriquer des ouvrages qui lui ressemblent et qui ne soient pas contraints par quelque format d’une collection imposée.
Benoît Jacques est un homme libre.
Les auteurs qui s’auto-éditent sont toujours un peu soupçonnés de le faire parce qu’aucun éditeur ne veut produire leurs livres.
C’est quelquefois vrai, mais quand on voit les tonnes de daubes que publient les éditeurs de BD, on ne peut que douter de la pertinence de leurs choix.

Tout cela est affaire de goûts, et le lecteur de Lanfeust de Troy ou de Largo Winch ne sera probablement pas celui des livres de Benoît Jacques, bien qu’on puisse voir des choses plus surprenantes dans ce curieux monde des amateurs de papier.





“L” est une exception à la règle des “Benoît Jacques Books” puisque Benoît Jacques a été édité par “L’association” pour cet ouvrage extrêmement intime et expérimental. 
Raconter “L” n’est pas possible, c’est un flux d’images au graphisme enlevé et libéré qui explose à chaque page. Rien n’est simple, rien n’est clair, tout peut être interprété.
Voilà bien un livre déconcertant, mais si je devais emporter une bande dessinée sur une île déserte, je choisirais cet album.
Je ne ferais pas mieux que l’excellente chronique de Christian Rosset sur du9 en juillet 2010 pour vous donner envie de lire “L”. 


Sur la table :

“Un métallo nommé Cipputi” de ALTAN

Edité par ARTEFACT dans la collection “serpentins” en 1983 pour la version française.




En ce moment, je relis des albums publiés dans les années 70 et 80, ils prennent une nouvelle saveur, car mes goûts se sont affinés. Je me rends compte que j’ai acheté des choses un peu “hors normes” d’une façon intuitive depuis toujours. Des livres qui m’intriguaient, qui étaient différents.
C’est ainsi que j’ai acheté cet album d’Altan que je ne connaissais pas, chez un bouquiniste. 
Je n’ai pas tellement aimé ce livre, mais j’étais fasciné par le graphisme. 
Aujourd’hui, le relisant, il me plaît davantage, car c’est du dessin de presse politique et même s’il s’agit d’une période ancienne et d’un autre pays, l’Italie, je suis plus réceptif qu’à 20 ans à son humour, et puis, finalement, à part la “mystérieuse disparition de la classe ouvrière”, rien n’a tellement changé.
Une des bonnes raisons de vieillir, ça reste cet étonnement permanent de découvrir des choses nouvelles dans ce qu’on croyait connaître. J’ai perçu ça très tôt,  enfant, en relisant régulièrement mes albums d’Astérix. Chaque année, je comprenais des jeux de mots qui m’avaient échappés. Je me suis dit que, finalement, grandir, ça servait à quelque chose.
Revenons à notre Italien, ALTAN, et à son métallo Cipputi. 
L’album a une très belle couverture orange, rien que pour ça, je devais l’acheter ! Il est en noir et blanc avec par-ci par-là quelques dessins en couleurs.
Il s’ouvre sur une introduction de Georges Wolinski, qui parle du dessin et des dessinateurs. J’ai toujours beaucoup aimé lire les textes de Wolinski quand il cause du métier et de ses goûts en matière de dessin. On peut lire avec bonheur les éditos de Charlie Mensuel quand il en était le rédacteur en chef.
“Le dessin d’ALTAN est aussi étrange que celui d’un Martien”, dit Wolinski et c’est exactement l’effet qu’a produit sur moi la découverte du graphisme de cet auteur.

Après, ou peut-être à la même époque, mais je ne l’ai lu que plus tard, ALTAN sera connu pour son “roman graphique” paru dans le magazine “A SUIVRE” “Ada dans la jungle” qui est un des albums que je relis régulièrement ainsi que “Fritz Melone” également chez Casterman et “Zorro Bolero” chez Albin Michel, mais je poserai peut-être ces bandes dessinées sur la table un de ces quatre.










Voici ce que l’on trouve sur ALTAN  chez le "Wikipédiatre"  
Né dans une famille aristocrate italienne, il passa son enfance à Trévise. Il quitta la ville pour suivre des études d'architecture à Venise, puis alla à Rome pour se consacrer au cinéma. À l'âge de 28 ans (en 1970), il quitte l’Italie pour le Brésil, et reste cinq ans en Amérique du Sud où il découvre ses deux passions : sa femme et l'illustration. Dessinateur humoriste où il égratigne la société italienne (syndicats, politique, Église, Mamas…) et fustige la corruption en Amérique latine, la naissance de sa fille Kika lui fait aborder en parallèle les albums pour enfants.

On trouve aussi une petite photo et l’on est un peu déçu de constater qu’il a un nez normal.



Les femmes dessinées par ALTAN sont belles, sensuelles et dominatrices, elles ont de jolis orteils, des poitrines délicates et des paupières lourdes. Les personnages masculins sont veules, vils et laids. ALTAN est féministe et son trait en forme de “nouille molle” est plus acerbe qu’il n’y paraît. 



Sur la table : “L’ascension pneumatique de Michel Goffinard” de FATON et VANHOLE
éditions Casterman 1983


Longtemps, j’ai cherché d’autres albums de ce dessinateur : Jacques Faton, mais il semblerait bien que cette “ascension pneumatique de Michel Goffinard” soit sa seule incursion dans le domaine de la bande dessinée. Je n’ai pas trouvé trace non plus du scénariste Vanhole, je pense que ces deux là sont Belges, en tout cas cette histoire a un parfum de Belgique.
Vu le peu d’information que l’on trouve sur cet album et la réaction des amateurs de BD quand je leur en parle, ce livre n’est sans doute important que pour moi et quelques chercheurs de perles.





On trouve encore pour quelques euros cette aventure hors du commun sur Internet et chez les bouquinistes, c’est donc une rareté accessible que l’Homme de goût pourra se procurer sans difficulté. 
Les anciens lecteurs de la revue “A-SUIVRE” se souviennent peut-être de la prépublication de ces pages étranges, à mon avis un peu en avance sur ce qui allait arriver avec les auteurs de la fameuse “nouvelle BD” qui ont récolté avec bonheur les graines semées par leurs aînés.
Bon, déjà la couverture avec ces types lovés dans des pneus, ça ne pouvait que m’attirer, il y a là quelque chose de Fred, et puis ce graphisme est séduisant pour quelqu’un qui s’emmerde avec les dessinateurs stéréotypés.





Je relis “l’ascension pneumatique de Michel Goffinard” régulièrement depuis plus de trente ans avec toujours le même plaisir. Il y a une écriture simple et fluide, une petite musique graphique et littéraire qui fonctionne parfaitement, au service de cette histoire de secte et de religion basée sur le souffle “pneuma”, incarné par la figure du pneu de voiture.
Les couleurs, belles et surtout adéquates de Astrid Lauer contribuent à rendre attachant le dessin de Jacques Faton. Pas d’interstices entre les cases et parfois de petits renvois en bas de pages pour apporter des précisions essentielles, ça fonctionne et ça donne un sentiment de liberté de création agréable.

Michel Goffinard ne sait pas trop pourquoi il se retrouve membre de cette secte à la noix, peut-être juste parce qu’il avait perdu ses clés sur la plage…

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