Conscient que pendant l’été, l’élite de la nation vaquait à ses occupations sur des plages idylliques, entourée de naïades à la peau cuivrée et aux seins arrogants, il était bien inutile que je prêchasse dans le désert informatique.
« Or nous y revoilà et je reste de pierre, plus une seule larme à me mettre aux paupiettes ! » ( Brassens et les Charlots enfin réunis ! )
C’est la rentrée, youpi !
Allez hop, en rang par deux !
A.DAN et Yv’ venez donc vous mettre devant, que vos petits camarades puissent profiter de vos commentaires !
Ah, j’aurais adoré ça, mettre des colles, maître des cool, maître décolle ! Le jour de la rentrée seulement, après, ça me ferait chier, mais le jour de la rentrée, quelle bonne odeur de fin du monde !
Mais, la connerie, elle, ne prend pas de vacances et donc me revoilà !
Le problème, quand je n’écris plus, c’est qu’il y en a qui pensent que je suis mort.
Parce que je suis un très mauvais ami.
Je ne sais pas téléphoner pour dire des trucs, je ne sais pas non plus passer à l’improviste ou inviter les gens à dîner ou toutes ces choses que font les Terriens.
Si je vivais seul, je serais probablement depuis longtemps recouvert de coquillages ou de lichen, mais on me fait prendre l’air régulièrement, on me montre des endroits, on me présente des êtres humains.
Je vois bien qu’il y a des individus avec lesquels, malgré mes idées saugrenues, il y a comme qui dirait une certaine « communauté de pensée », ou, disons un assentiment poli à certains points de vue, ce qui n’est déjà pas si mal en matière de lien social.
La plupart du temps, je fais mieux de fermer ma gueule que de dire ce que je pense.
Pourtant, sous un angle militant, voire pédagogique, j’ai plutôt tendance à prôner l’intervention, mais il faudrait un service d’ordre genre, « casques bleus du bon goût », pour agir efficacement sur la connerie et ça n’existe pas. L’ONU ayant des préoccupations plus urgentes avec les barbares à mitraillettes, on laisse la bêtise à mains nues baguenauder en liberté les poings dans les poches.
L’été, c’est pire que jamais. L’idiot, quand il a l’air occupé, il a tout de même l’air moins bête. Par exemple le facteur remplaçant, qui n’est pas foutu de lire ce qu’il y a écrit sur les enveloppes et qui met mon courrier dans la boîte à lettres du voisin. Quand il est facteur, dans le cadre de sa mission, on voit bien que ce n’est pas une lumière, mais ça reste dans les limites de l’acceptable. Avec le voisin, on vient s’échanger notre courrier et puis c’est tout, c’est pas bien grave.
Mais le même genre d’abruti sur une autoroute, ou sur une plage, comme qui dirait en civil, avec ses quatorze mômes recomposés et mal élevés, sa grosse bonne femme en saindoux et mes lettres qu’il a emportées, dans le but évident de me nuire gravement, en les déposant dans une urne lointaine, c’est un fléau social.
Au-delà de cet aspect, plus tu es réfléchi, moins tu laisses tes pulsions te commander et ça t‘évite d’être moderne.
Moderne, c’est-à-dire recomposé.
Le con d’antan, il semait à tous vents comme le con moderne, mais il n’avait pas la prétention de faire de la recomposition. Ses petits têtards, il les cachait ou il les oubliait et ceux-là avaient au moins une chance d’échapper peu ou prou à l’influence paternelle, ce qui faisait que la connerie sautait parfois une génération.
Entendons nous bien, vous faites ce que vous voulez, de toute façon, c’est foutu, pas de brigade du bon goût pour intervenir à temps, (avant conception), pour interdire à deux imbéciles de se précipiter pour en faire un troisième.
Croissez, multipliez vous, envahissez l’espace, traînez derrière vous des chapelets de marmots incontrôlables.
Je hais les familles arrogantes, bicéphales ou monosyllabiques !
Oh, ce ne sont pas les enfants issus des amours inconséquentes de ces créatures primaires incapables d’utiliser correctement un préservatif, que je déteste.
Je ne les aime pas non plus car ils souillent mon champ de vision et perturbent mon audition, mais ils sont moins haïssables que leurs parents fiers et gras, épanouis en monospaces ou en tongs et brandissant à la face du monde leur progéniture comme si le seul fait d’être pères ou mères pouvait de quelque façon que ce fut justifier leurs présences ici-bas.
Quand ils ne roulent pas en monospaces, ils poussent devant eux d’énormes carrioles destinées, comme les blindés de Patton, à leur ouvrir la route. Avançant de front, car ignorant les vertus de la file indienne, sur des trottoirs conçus à une époque où les bœufs marchaient sur la route, ils débarquent à l'envers sur nos côtes.
Par d’habiles manœuvres, de subtils stratagèmes, je parviens habituellement à me soustraire à l’entassement estival de bidoche sur le sable du littoral. Saisie ou cuite à point, grasse et suintante d’ambre solaire, cet étal de boucherie bariolé de bardes multicolore aux motifs grotesques m’a toujours donné la nausée.
Une plage en été, c’est l’absolue négation de ce que représente la mer, l’océan. C’est-à-dire le vide, l’espace, la liberté, les horizons lointains, pas un truc qui pue la crème solaire et ressemble à un charnier sur lequel, par fantaisie, on aurait planté des parasols.
Mais bon, il faut bien qu'ils partent en vacances, pas vrai ?
Tous en même temps.
Aux mêmes moments et aux mêmes endroits, pour être bien certains d’appartenir à la même espèce de privilégiés qui peuvent se permettre de transhumer vers le Sud, l’Eldorado des dorades, le soleil et la mer.
Excusez-moi un moment, il faut que j’aille vomir.
Pourtant, j’aime bien les corps, la plastique Humaine ne manque pas d’intérêt et même la tendance générale pachydermique, peut présenter un attrait certain pour qui aime observer une société qui s’effondre dans sa graisse tatouée.
Mais alors, par petites quantités, à doses homéopathiques, en voyageur ascétique de passage au pays des ventres pleins.
En réalité il ne reste qu’une solution, c’est le décalage temporel. Il faut aller à la plage vers 20 h et comme par enchantement, on se retrouve entre gens moins gras et donc il y a plus de place. C’est l’heure où les familles grassouillettes vont s’empiffrer de nourriture industrielle, c’est l’heure où le soleil ne brûle plus la peau, c’est l’heure où l’on entend le clapotis de l’eau, le bruit du ressac et nageant calmement avec les mouettes, le moment où l’on croise une vieille dame charmante qui dit : « c’est délicieux, n’est-ce pas ? On a bien fait de venir plus tard. »
Il y a encore quelques êtres humains discrets et élégants, mais ça ne va pas durer très longtemps.