vendredi 11 janvier 2013

Ligne de fuite


S’il y a un truc qui est vraiment efficace, c’est la Ligne éditoriale. 
La Ligne Maginot, ça faisait bien rigoler la Wehrmacht parce qu’il suffisait de la contourner, mais si on avait eu une Ligne éditoriale en 40, jamais les Allemands ne seraient entrés. 
C’est pour ça que dans le monde de l’édition, on a pas de Ligne Maginot. 
Par contre, on ne peut pas étendre son linge sur la Ligne éditoriale, comme une chanson d’avant-guerre suggérait de le faire sur la Ligne Siegfried, qui était la Ligne Maginot des Allemands. 

Pourquoi les Allemands avaient l’équivalent du bazar destiné à les empêcher d’entrer en France alors qu’ils n’allaient quand même pas envahir l’Allemagne, vu qu’ils y étaient déjà, mystère. Donc, si on récapitule, la Ligne Maginot était faite pour empêcher les Allemands d’envahir le pays du fromage, la Ligne Siegfried était une idée à la con qui devait arrêter les Allemands s’ils avaient l’intention d’envahir l’Allemagne, et la Ligne éditoriale est une invention des éditeurs pour refuser poliment d’être envahis par les auteurs. 
Un bon éditeur se doit de garder la Ligne, c’est pourquoi il a un régime spécialement étudié par Kellogg’s pour avoir la main ferme, l’œil vif et le poil luisant. 
Le bon éditeur est un dictateur qui sait ce qui est bon pour le peuple. « Ce qui est bon pour le peuple, c’est ce qui me rapporte des sous », grosso modo voilà résumé bon nombre de Lignes éditoriales. 
Depuis quelque temps (de crise), un argument est venu spontanément remplacer le fameux :

 « votre projet est très intéressant, il ne manque pas d’originalité, mais malheureusement, il ne correspond pas à notre Ligne Maginot ».

Jeunes auteurs, mes camarades, cette lettre-type existe encore, rassurez-vous, bien que la coutume qui consiste à  envoyer une réponse après avoir reçu un courrier sera sous peu complètement oubliée, (on a pas que ça à foutre, sans blague !) 
Oui, parce que les éditeurs sont envahis par les zalmands !  Heu…je veux dire par les zauteurs qui voudraient faire des livres avec leurs sous. 
Il y en aura bientôt plus que des lecteurs de ces hurluberlus et les zéditeurs n’ont donc pas le temps de regarder tous les  projets et d’y répondre. Ils ont des repas à manger avec les auteurs qui vendent beaucoup, et ça prend vachement de temps, parce que qu’est-ce qu’on attend entre les plats !  
Donc, un autre argument, destiné aux auteurs « confirmés », ( ceux qui ont reçu leur confirmation par le Pape ), et à qui on ne peut pas dire qu’on s’en fout de leur travail, a fait son apparition c’est le :

«  C’est un excellent projet et patati et patata, mais tu comprends, on en vendra pas assez. »

 Ça, c’est imparable, c’est l’arme fatale ! Moi, vous me connaissez, je suis toujours plein de compassion et d’empathie, je suis prêt à me mettre à la place du bon éditeur qui a sa Ligne Maginot à défendre, mais quand même, cet argument ne tient pas la route. 
Ces mecs passent leur temps à éditer des trucs qui ne se vendent pas, c’est 80 % de leur catalogue qui n’a pas assez de lecteurs. Qu’ils disent : “je trouve que ce n’est pas à la mode, ça ne fera pas frétiller Téléramalibérationlesinrocks” ou “ ça ne me plaît pas”, ou « tu me fais chier avec tes petits Mickey, j’ai des trucs plus urgents à manger avec Enki, qui  maintenant qu’il est un peintre contemporain a un gros appétit», mais pas que la raison c’est qu’ils n’en vendront pas assez ! 
Cette réflexion, dont la pertinence et le sens de la nuance ne vous auront pas échappé, m’est venu après avoir lu l’album de mon ami Philippe Caza, « Le jardin délicieux » et entendu les raisons qu’il donne sur son site, qui l'ont conduit à finalement décider d’éditer lui-même son livre. 
Je trouve anormal qu’un Delcourt, ou un autre, ne publie pas “Le jardin délicieux” de Caza. Même si ça ne se vend pas comme du Sfar, tu peux quand même mettre un peu d’argent sur un album d’un auteur qui a une belle carrière et que tu as édité par ailleurs. C’est une question de savoir vivre pour ne pas dire de respect. Enfin, il me semble. 
Bien sûr, à force de publier des livres que personne n’achète, ( ce qui en soit, constitue une sorte de ligne éditoriale ), on peut avoir des problèmes de trésorerie et il faut faire des choix et ceci cela… Je ne remets pas en cause tous ces paramètres qui justifient parfaitement de dire NON à un auteur. Mais ce n’est peut-être pas la peine de le prendre pour un imbécile.
Et puis, en y regardant de plus près, quitte à produire un livre qui « ne se vendra pas assez », ( c’est-à-dire plus ou moins un livre « normal » dans le contexte actuel  ), on pourrait privilégier ceux qui sont fait par des auteurs qui mangent bio ! 
( Comment ça, je prêche pour ma paroisse ?! )


En cadeau bonus, un petit dessin de Caza que j'ai mis en couleurs...








4 commentaires:

Michel Loiseau a dit…

Je ne me suis jamais essayé à me confronter au monde de l'édition mais j'ai une excuse, je ne fais pas des trucs éditables dans les livres. Pour moi, le monde de l'édition des livres (ou de la musique ou des cartes postales) se devrait d'être un monde de mécène avertis. C'est à dire que l'idée, ce serait de publier des auteurs, de choyer un peu plus ceux qui vendent, de conserver une partie des bénéfices pour se rémunérer en tant qu'éditeur (faut bien manger) et de réinvestir le reste pour les auteurs qui ne vendent pas beaucoup ou qui sont jeunes ou qui sont d'une minorité visible quelconque (nouille martienne, par exemple).
Je pense que mon idée est l'idée de base de l'éditeur. Le souci, c'est qu'arrive le financier qui n'a aucune raison d'être mécène.
De temps à autres, des auteurs en ont marre et créent leur société d'édition à eux, seuls ou avec des potes. Ça ne doit pas être si compliqué.
Il y a le problème de la distribution et de la diffusion. Pas simple, c'est sûr...

WENS a dit…

C'est sûr que si tu es garagiste, tes rapports avec les éditeurs sont moins compliqués !
( je sais que tu n'es pas garagiste, mais antiquaire dans Tintin avec ton frère ! )
Ton idée de l'éditeur n'est pas non plus de la science fiction, ça existe, certains éditeurs font encore plus ou moins comme ça, j'ai des noms, je pourrais les dénoncer à la kommandantur !

Michel a dit…

Rien n'interdit, malheureusement, à un garagiste de cumuler les tares et d'être également dessinateur de miquets qui détraquent le cerveau de la jeunesse.
Je n'ai jamais dénoncé personne à la Kommandantur. Trop jeune, je n'étais pas né. Ce n'est pas de ma faute.
Puisque vous m'y invitez, j'ai une splendide reproduction de navire ancien à vendre, en ce moment. L'un des mats est légèrement abîmé mais aisément réparable.

WENS a dit…

Allez, on se dit TU, entre garagistes !
Ah, il faudra que je fasse une NofzeW sur la forme à employer pour s'adresser entre nous, ( belle phrase mal fichue ! ). Avec cette habitude de se tutoyer entre dessinateurs, je n'arrive plus à savoir si je suis poli ou trop familier, ( alors que je sais très bien faire semblant d'être bien élevé ! )
Comme je sais que tu dessines, en plus de vendre des maquettes de bateaux, j'ai fait comme avec un camarade de cellule, j'espère que vous ne m'en voudrez pas !