Sur la table aujourd’hui un petit ouvrage édité par PlG : “L’industrie de la dédicace” de Jean-Luc Coudray, que m’a fait découvrir mon ami Michel Jans.
Le livre de Jean-Luc Coudray pose le problème de la dédicace très clairement.
Il pourrait être plus “violent”, mais j’ai le sentiment qu’il a tenté d’avoir un regard un peu neutre d’observateur pour éviter qu’on lui renvoie à la gueule des "t’es qui toi ?” et autres “d’où tu causes ?”
Les mecs comme nous, qui sommes plus ou moins des “obscurs”, si on ouvre notre gueule on passe pour des aigris.
Quand tu t’en fiches un peu, au fond, c’est plus simple de laisser le marigot dans son état.
Ce qui est désolant c’est de s’apercevoir qu’il n’y a pas grand monde parmi les “têtes d’affiches”, pour remettre en question le principe de la dédicace et le système du “festival de bulles” à la con.
Pas plus que ne le font les “indépendants”, semble-t-il si dépendants.
Chez "6 pieds", j’ai participé à un numéro de la revue Jade dans lequel je disais tout le "bien" que je pense du supermarché d’Angoulême, et quand "Mr Popo" est sorti, ils m’ont invité à ... Angoulême.
Je ne suis pas sûr que mon refus d’y aller ait été très bien compris.
Après tu te dis que tu n’es pas un “bon camarade”, que tu ne “défends” pas ton album, c’est encore toi, pauvre auteur, qui devrait culpabiliser. Coudray décrit très bien tout le processus qui enchaîne les auteurs à ce système.
Je crois que je préfère disparaître qu’exister de cette façon.
En ce moment, je suis dans une parenthèse, je fais de la BD dans mon coin, ça me va, je n’ai pas besoin de “voir du monde”, ni de bouffer une nourriture trop riche au restaurant, pas plus que de me faire chier dans des chambres d’hôtels. Et je préfère passer mes week-end avec ma famille.
Les rares invitations qui me parviennent encore, je les décline poliment.
Mais que vais-je faire quand mon livre sortira ?
J’ai du mal à prendre une décision définitive qui serait en accord avec ce que je pense de tout ça.
L’auteur n’a pas beaucoup de prise sur sa production, lorsque son bouquin paraît, il est vite noyé dans la masse, la seule chose concrète qu’il lui reste à faire, c’est le VRP dans les festivals BD.
Pourquoi ne pas tout faire pour soutenir un album ?
A fortiori s’il est édité par une petite structure qui ne bénéficie pas d’une grande visibilité chez les libraires.
Ça contraint les plus réticents à jouer le jeu des “BD à Trucmuche" et autres "Bulles en Machinchouette”.
Je trouve une certaine logique à être sur le stand de son éditeur et en particulier lorsqu’il s’agit d’un petit éditeur ou dans la démarche d’un Bruno Loth ou d’un Benoît Jacques, parce qu’il y a une dimension de soutien mutuel, voire de “combat”, c’est moins le cas des grands rassemblements de dessinateurs où l’on aligne les noms sur une affiche et les auteurs comme du bétail derrière des tables branlantes, éclairés par des lampes qui te grille le crâne ou te rendent aveugle.
Les scénaristes on s’en fiche, il ne peuvent pas valoriser l’album avec un dessin, alors on invite surtout les “artistes”, mais une bande dessinée, ce n’est pas seulement des images. Les lecteurs, soi-disant friands de “rencontres” ne veulent rencontrer que des dessinateurs ?
Curieux, non ?
Sur le stand de ton éditeur si le travail de cet éditeur a un sens pour toi, c’est à dire si tu ne fais pas des livres comme tu vendrais des chaussettes, tu es à ta place. Tu défends une certaine idée de la BD, ou au moins, tu crois le faire et tu es en "petit commando" au milieu du marigot.
Je veux parler du marigot commercial du festival BD, un système qui met en avant les auteurs commerciaux, récompense par des prix "du plus beau bébé" les auteurs qu’il est de bon ton de primer, ( souvent pour les faire venir à “Trou-du-cul-du-monde-en-bulles” ), et bénéficie surtout au libraire associé à la manifestation.
Mais si tu commences à te comporter comme un peigne-cul, à sortir ta boîte d’aquarelle, tes tubes de gouaches, tes huiles, ton chevalet… Pour faire de la dédicace un argument publicitaire. C’est à dire, que pour rien, en cadeau, tu passes 25 minutes à torcher une illustration couleurs pour vendre un bouquin, qui va te rapporter 1 euro, ça n’a plus de sens.
Depuis quelques années, les auteurs ont habitué les “chasseurs de dédicaces” à en avoir de plus en plus sur la page de garde de leurs albums. Il ne s’agit plus d’une “rencontre sympathique” avec ses lecteurs, mais d’un concours de bites.
C’est à celui qui sera le plus virtuose du crayon pour pas un rond.
Ça ne bénéficie même pas à l’acheteur de l’album, car la banalisation des dessins et la surenchère les ont rendu complètement blasés.
La multiplication de ces dédicaces, souvent médiocres artistiquement même quand elles veulent en mettre plein la vue, ôte tout intérêt et toute valeur à la chose dessinée.
L’argument avancé par pas mal d’auteurs, c’est qu’ils vont dans les festivals BD pour y retrouver des copains.
Ça laisse songeur sur ce qu’est leur vie sociale, mais grand bien leur fasse.
Un week-end de festival ( pour lequel l’auteur n’est pas rémunéré ), c’est très fatigant, mais l’illusion d’être “quelqu’un” pendant deux jours semble être une motivation suffisante pour qu’après une semaine de travail passée à dessiner, un bon nombre d’auteurs trouvent encore de la joie à poser leurs culs sur une chaise, le week-end venu, pour dessiner à la chaîne ou se faire chier en attendant un éventuel et improbable lecteur.
Pourquoi pas.
Mais si l’auteur n’y va pas pour jouir d’un douteux plaisir narcissique, on peut se demander si ce n’est pas parce qu'il n’a rien de mieux à faire le dimanche, que sa femme est moche, ses enfants chiants et son chien galeux !
J’ai passé de très bons moments avec la bande des Mosquito à Grenoble et à St Malo et même à Angoulême. Il y a quelques auteurs que j’ai pris plaisir à rencontrer, je me suis bien marré avec des Belges et j’ai parfois sympathisé avec des lecteurs plus intéressés par les rapports humains que par la dédicace.
J’ai croisé dans ces festivals les auteurs qui m’ont donné envie de faire ce métier, la plupart du temps des gens humbles et charmants passionnés par leur travail, mais je n’ai jamais aimé la façon dont fonctionne ce qui est devenu effectivement “l’industrie de la dédicace”.
Alors ok, tu peux te servir du festival BD pour retrouver des gens que tu vois rarement, mais c’est combien de fois dans l’année ?
Trois, quatre ?
De là à passer tous ses week-ends dans cette ambiance de fiesta conviviale à la con…
Le livre de Jean-Luc Coudray fait clairement l’état des lieux de cette “industrie” et d’une façon précise, le tour de la question. Il n’est pas très cher, il coûte 7 €, il pourrait faire réfléchir un peu les auteurs et les lecteurs, mais la plupart ne le liront probablement pas.
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