Ça fait un moment
que je cherche un truc rigolo pour parler de la bizarre condition de ceux qui
font des livres, et je ne trouve pas. Donc, je vais continuer à être chiant
quand je cause boutique !
Dans la revue Jade,
à laquelle je participe, ça m’énerve toujours un peu que les dessinateurs se
mettent en scène dans des histoires de loosers et grossissent le trait sur les
aspects les moins reluisants du métier. D’un autre côté, ça m’énerve aussi
quand j’en vois qui friment dans les festivals BD.
Souvent, j’ai envie
d’expliquer un peu des choses, parce qu’il me semble qu’il faudrait et puis j’y
renonce, je me dis à quoi bon.
Mais il y a tout de
même un aspect de cette activité que je voudrais aborder. Comme je viens juste
de sortir un ouvrage, je suis confronté à la partie la moins excitante de
l’affaire, c’est-à-dire la vente.
C’est un truc qu’on
aimerait bien ne pas avoir à faire.
Personnellement, ça
me conviendrait si mes livres étaient gratuits, distribués aux gens et que je
sois payé par l’état, c’est-à-dire la collectivité, pour les faire.
Un emploi fictif,
un peu comme Luc Ferry, ça serait pas mal et moi, je suis même prêt à
bosser !
Mais non, ça ne
marche pas comme ça et notre travail, à nous autres, n’a de sens que s’il se
trouve des gens assez intéressés par ce que l’on a créé, pour dépenser un peu
de sous en achetant nos livres.
C’est très complexe
de vendre des livres, parce que parfois, on a pas forcément envie de faire des
choses pour le plus grand nombre, parce que ce n’est pas ce qui nous intéresse,
parce que ce qu’on aime est marginal, parce que notre objectif n’est pas de
devenir riche ou tout simplement parce que l’on fait la seule chose que l’on
sait faire et on verra bien.
On assume cette
réalité, qui est variable selon les auteurs, généralement avec philosophie
quand on a du plaisir à faire nos bouquins.
On est beaucoup
moins philosophe quand on travaille dans de mauvaises conditions, évidemment.
Mais on n’emmerde
personne, on ne se plaint pas et on ne demande pas grand chose à part qu’on
nous foute la paix. Ce n’est pas nous qui bloquons les routes ou déversons des
tonnes de fumiers devant les préfectures, ce n’est pas nous non plus qui
empêchons les gens de partir en vacances.
Pour la plupart, on
ne demande même pas la moindre considération, parce qu’on a bien conscience que
notre petite activité marginale n’est pas considérée par les gens comme un
travail.
On supporte les
conseils idiots de personnes qui n’y connaissent rien et qui ont l’impression,
parce que ce que l’on fait ne leur plaît pas, que ça ne plaira à personne. On
prend l’habitude d’entendre la fameuse question : « vous arrivez à en
vivre ? »
Posée par des
individus à qui pourtant, on a jamais demandé d’argent pour finir le mois.
Mais, bon, au bout
d’une quinzaine d’années de ce métier, on est habitué et, personnellement, j’ai
choisi de ne pas trop en parler. Il m’arrive même de dire que je travaille à la
poste pour couper court à toute discussion potentiellement énervante.
À une libraire, qui
me disait un jour « que je devrais essayer d’être plus médiatique »,
j’ai répondu que je ne faisais plus de bande dessinée depuis très longtemps.
Mais se pose tout
de même la question de quoi faire quand un livre sort en librairie.
Que doivent faire
les gens autour, les amis, la famille ?
Est-ce qu’ils
doivent faire semblant de s’y intéresser ?
Pire, doivent-ils
l’ACHETER ?
Ils feront comme
ils voudront, notre petite boutique ne se portera ni plus mal ni mieux grâce à
eux et il est inutile, qu’ils se tracassent pour ça, les auteurs préfèrent
l’indifférence à ce qui pourrait apparaître comme une vente forcée.
Rien n’est plus
pénible que d’être en présence de quelqu’un qui s’est senti
« obligé » d’acheter votre livre.
On a des antennes,
de l’intuition et vous ne faites pas illusion très longtemps. Mieux vaut
affirmer clairement votre désintérêt pour la chose.
Néanmoins, je veux
dire merci à ceux qui ont acheté « La mort dans l’âme », sans se
poser la question de savoir si c’est bien ou non, juste parce que c’est un ami
qui l’a dessiné, ou parfois même simplement le gars qui fait Mr POPO sur le
blog des « News of ze Wens » ou juste un voisin.
Parce que c’est
comme ça que nous existons, nous qui faisons des livres et que ces ventes là,
ces ventes qui ne changeront peut-être pas grand chose à notre tirage, ce sont
tout de même des ventes qui font du bien.
Merci aussi à ces
chroniqueurs sur Internet ou ailleurs, qui ont été touchés par le livre et
l’ont fait savoir, « La mort dans l’âme », n’est pas un album au
sujet facile et il semble bien que nous ayons, Sylvain Ricard et moi, réussi à
faire partager certains sentiments aux lecteurs.
Ce n’est pas trop
dans mes habitudes de commenter les commentaires de mes livres, mais comme j’ai
lu des choses très bien sur notre album, je me permets cette petite faiblesse
dans ma carapace de loup solitaire !
Heu… Ma carapace
de tortue solitaire !